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Channel: Velochrono » Alexandre Philippon
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Sa dernière campagne

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Dans deux semaines, Bradley Wiggins va essayer de gagner Paris-Roubaix pour finir en apothéose sa carrière sur route. En attendant, il se fait très discret. Absent du GP E3 vendredi, il dispute Gand-Wevelgem dimanche mais n’a plus couru depuis Paris-Nice : il aborde son objectif à sa façon, pendant que Ian Stannard et Geraint Thomas le bordurent en s’offrant les préparatoires… 

Sur les pavés, il a déjà connu… l’échec

Quatre carrières. La première dans les vélodromes, à aligner les titres mondiaux ou olympiques, à ne plus savoir qu’en faire. Si, basculer à temps complet sur la route. Après les Jeux olympiques de Pékin, Bradley Wiggins change tout. Fini, le tour des équipes françaises – FDJ, Crédit Agricole, Cofidis. Direction HighRoad et c’est le début de la transformation que l’on connait, finalisée ensuite chez Sky où il remporte le Tour de France, le Dauphiné, Paris-Nice, le titre olympique du chrono, porte le maillot de leader des trois grands tours… Puis c’est la pause, nécessaire. À force de bosser, de bousculer ce corps qui n’était pas prédisposé à de tels sommets, il a besoin de souffler et rentre dans le rang. Chris Froome prend sa place et répète ses succès. Il faut trouver un nouveau projet ou c’est la fin. L’horizon le plus évident, c’est Rio et une nouvelle quête olympique sur les anneaux. Mais Wiggo est un coureur vintage. Il s’offre une parenthèse pavée. 2014, 2015, deux campagnes pour un exploit : remporter Paris-Roubaix. Depuis Greg LeMond et Laurent Fignon, les vainqueurs du Tour de France tournent le dos à cette course. L’explication est simple : la tendance, pour les meilleurs coureurs de grands tours, est à insister jusqu’au terme de leur carrière. Pour regagner un Tour, pour enfin le gagner. Ancien vététiste émérite, Cadel Evans aurait pu se permettre d’aller s’aventurer sur l’Enfer du nord avant de raccrocher en janvier dernier, mais il n’était pas dans une équipe (BMC) qui avait véritablement besoin de lui sur ce terrain. Alberto Contador va prendre sa retraite sans jamais avoir eu quoi que ce soit d’autre en tête et préfère pédaler dans du velours pour éviter les gamelles, qui lui ont déjà fait perdre pas mal de temps depuis sa terrible chute de l’époque Liberty Seguros. Le fait est aussi que les cadors des courses de trois semaines proviennent de plus en plus de pays qui sont à des années lumières des joutes Flandriennes. Tant qu’un Belge ou un Néerlandais ne sera pas au sommet de son sport, il n’y aura personne pour lui dire qu’essayer gagner un Tour des Flandres ou un Paris-Roubaix est une bonne idée. Le seul, aujourd’hui, à avoir le profil pour tenter le diable, c’est Vincenzo Nibali, mais le temps passe vite et il sera bientôt trop tard.

Bradley Wiggins, donc. L’unique coureur à être assez fou pour s’inventer une fin de carrière sur route dans l’inconfort des pavés. Mais ça ne date pas d’hier : au début de sa carrière, le Britannique s’alignait systématiquement sur les Flandriennes. Entre 2002 et 2006, ses cinq premières années pro, il a disputé tous les Gand-Wevelgem, tous les Tours des Flandres et quatre fois Paris-Roubaix. Course où il est revenu dans sa deuxième vie, celle de HighRoad et Sky, finissant 25e en 2009. En 2011, quand il finit troisième de Paris-Nice, il est ensuite au départ de Compiègne, deux mois avant de s’adjuger le Dauphiné. Le modèle Wiggins était encore flou : il avait initialement prévu de courir Paris-Roubaix à la fin d’un premier cycle de compétition, avant de partir en haute-montagne pour ne plus en repartir avant le mois de juin, or il avait finalement disputé le Tour de Romandie et le Tour de Bavière. Ce n’était pas l’équipe Sky réglée comme sur du papier à musique telle que l’on la connait aujourd’hui. Il y avait de la place pour l’improvisation. Avec le Londonien, celle-ci semble de retour, comme s’il s’agissait d’un passe-droit accordé pour services rendus. Après tout, avant de se remettre ces courses si particulières en tête l’an dernier, il n’y avait jamais brillé. Un taux d’abandon très important, jamais une performance référence. Wiggo kiffe les pavés, sait que sa puissance peut s’y exprimer, mais l’expérience qu’il a, c’est celle de l’échec. Autrefois, on l’envoyait au casse-pipe parce qu’on ne savait pas quoi faire de lui. Il donnait la priorité à la piste, ciblait un ou deux prologues sur route par ci par là. Avant de gagner celui du Tour d’Italie en 2010, avec la tunique Sky, il ne comptait qu’un seul succès significatif : le prologue du Dauphiné 2007. Personne ne s’en souvient parce que c’est arrivé quelques jours avant le départ du Tour de France à Londres, chez lui. Un rendez-vous qu’il avait coché de longue date. Bradley Wiggins voulait absolument prendre le maillot jaune à la maison et avait été battu par Fabian Cancellara, Andreas Klöden et George Hincapie. Cet échec semblait sonner le glas de sa carrière sur l’asphalte, à un an de nouvelles olympiades où la gloire lui était plus facilement assurée. Ces années de ratés, à des années-lumières de son potentiel physique si bien exprimé dans les vélodromes, sont les plus douloureuses de sa carrière et ces classiques pavées où on l’emmenait pour boucher les trous auraient pu lui ôter toute envie d’y revenir une fois devenu le Wiggo que l’on connait.

Débarrassé de Boonen et Cancellara, encombré de Thomas et Stannard

Masochiste, il s’est donc décidé à donner une teinte boueuse à sa sortie de scène. Et ça marche : l’an dernier sur Paris-Roubaix, il est présent pour la gagne au Carrefour de l’Arbre, et à huit kilomètres de l’arrivée, il se met à appuyer sur les pédales pour essayer de sortir. C’est plus une tentative désespérée d’un coureur qui sait qu’il n’a aucune chance au sprint, mais c’est aussi le moyen de montrer, le nez dans le cul de la caméra moto, qu’il est bien au rendez-vous. Ce qui, en soit, était un petit exploit : Wiggo était parti du seul principe que sa volonté de faire un résultat sur la course qui entretient ses derniers fantasmes allait suffire. Que la force engendrée par les plus belles années de sa carrière allait forcément se transposer sur les terrains rugueux du nord de la France. Que tous ces kilomètres passés dans la peau d’un simple guerrier qui veut être finisher dans le vélodrome de Roubaix allaient lui donner la sensation qu’il connait les lieux par cœur. Dans la foulée, le Britannique coche l’édition 2015. Entre temps, il s’est adonné à sa passion du contre-la-montre pour devenir champion du monde de l’exercice et a ainsi fixé la date de sa retraite sur route au Paris-Roubaix suivant, avant certes de la repousser au Tour du Yorkshire. Sur la base de sa neuvième place de 2014, viser la gagne sur ce monument n’a plus rien d’impossible. Dès lors, il met ses jambes dans du coton et attend le jour J. Il va chercher une troisième place sur le chrono du Tour du Qatar mais ne tente rien sur les autres étapes. Il est douzième du prologue de Paris-Nice mais se contente de faire des bornes le reste de la semaine. Le matin du chrono du col d’Èze, il est non-partant, décision prise assez tard dans la nuit du samedi au dimanche… Depuis, il n’a plus couru. Pas de GP E3, alors qu’il était prévu au départ. Il sera sur Gand-Wevelgem, dimanche, où il a très peu de chance d’accrocher un quelconque résultat. Puis il sera dans la semaine sur les Trois jours de la Panne, course qu’il peut gagner grâce au contre-la-montre. Et derrière, Ronde-Roubaix.

Reste que le contexte est particulier. D’abord les bonnes nouvelles : Tom Boonen et Fabian Cancellara ont chuté et ne seront pas de la partie. C’est terrible pour eux mais ça ouvre le jeu pour un Bradley Wiggins qui aurait eu très fort à faire pour les battre à la pédale. C’est l’année ou jamais. Mais Ian Stannard a gagné le Het Nieuwsblad et Geraint Thomas le GP E3. L’un comme l’autre seront légitimes s’ils demandent à bénéficier du soutien de leurs équipiers, y compris de Bradley Wiggins qui présente beaucoup moins de garanties, s’étant exonéré de courses de préparation qui lui auraient permis d’asseoir son statut. Le meilleur compromis sera de jouer les lieutenants sur le Tour des Flandres, course avec laquelle il n’a pas d’affinités particulières, avant de voler de ses propres ailes sur Paris-Roubaix, une épreuve si instable que la stratégie collective s’écrit le plus souvent au fil de la course. Sauf que faire tapis sur un seul jour de course, le plus incertain du calendrier cycliste, c’est tendre la joue pour finir sur une grosse claque. Si Bradley Wiggins soulève un pavé dans deux semaines, ce sera ahurissant. Cela fait plus de dix ans que Tom Boonen et Fabian Cancellara confisquent la plupart des victoires sur cette épreuve. Des dizaines de coureurs de talents font toute une carrière sans jamais avoir le brin de chance qui permet de tutoyer la gloire à Roubaix. C’est toute la cruauté de cette course : vous pouvez arriver au top de votre forme et de votre confiance, crever au plus moment moment et ne pas avoir d’autre choix que de donner rendez-vous à l’année prochaine, avec ce que cela entraîne de défi mental. C’est aussi valable avec le Tour de France et Wiggins avait connu cela en 2011 avec sa chute sur la route de Châteauroux. L’année suivante, il se baladait à Paris en jaune dès son deuxième essai. Mais pour l’heure, pareille prophétie sur les pavés relève presque de la science-fiction, car c’est sans lui le que se fait le début de la campagne des classiques. Du Wiggins tout craché.


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